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1er septembre 2018 : interdiction de néonicotinoïdes en France

Néonicotinoïdes

        C’est fait : depuis le 1er septembre 2018, l’utilisation de certains néonicotinoïdes est interdite dans l’agriculture en France, sauf dérogation[1]. Exit donc acétamipride, clothianidine, imidaclopride, thiaclopride et thiaméthoxame. Une quasi-interdiction qui ne fait pas que des heureux.

        D’un côté, ces néonicotinoïdes ont un succès fou dans la prévention des attaques d’insectes ravageurs. De l’autre, ils sont montrés du doigt pour leur rôle dans la disparition d’une partie des insectes, notamment les abeilles, chez qui il semble faire un excès de zèle ...

        Mais gardons la tête froide et analysons ceci d’un point de vue plus scientifique.

 

Les néonicotinoïdes : qu’est-ce que c’est ?

        Il s’agit de molécules utilisées comme insecticides. L’appellation « néonicotinoïdes » vient du fait que ces molécules se fixent sur des récepteurs dits « nicotiniques » du système nerveux des insectes. Ils provoquent une paralysie, puis la mort[2].

        Ce sont des composés organiques (au sens chimique du terme) : un « squelette » de carbone et d’hydrogène, sur lequel se greffe(nt) un (ou plusieurs) atome(s) d’autres éléments comme le chlore, l’azote, l’oxygène ou le soufre.

Acétamipride     Molécule d'acétamipride. Les atomes de carbone sont en gris, ceux d’azote en bleu, ceux d’hydrogène en bleu clair et ceux de chlore en vert. Source : https://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/compound/Acetamiprid#section=3D-Conformer

        Efficaces à faible dose, ils remplacent nombre de produits particulièrement toxiques, comme le DDT (encore utilisé sous les tropiques pour lutter contre le paludisme), des organochlorés (le DDT et certains néonicotinoïdes font partie de cette famille) et des organophosphorés. Impossible de les éviter, ils sont partout où le besoin de prévenir l’apparition d’insectes parasites se fait sentir[3] ! Dans le domaine agricole évidemment (épandage, pulvérisation sur les plantes, enrobage de semences, élevage …), mais également pour traiter les animaux domestiques contre les puces, par exemple.

 

Des molécules particulièrement coriaces

        Les néonicotinoïdes posent problème : ces molécules ont la peau particulièrement dure (si on peut parler ainsi) et restent longtemps dans la nature avant d’être dégradées (de 88 à 990 jours[4]). Pire, certains produits de dégradation sont tout aussi dangereux. Par exemple, la dégradation du thiaméthoxame donne de la clothianidine. Un néonicotinoïde transformé en un autre néonicotinoïde, on ne peut pas dire que l’environnement gagne au change.

        Cette durée de vie leur permet de se diffuser non seulement dans l’ensemble des plantes, mais également dans le sol et dans la nappe phréatique. Les néonicotinoïdes peuvent ainsi se retrouver dans des plantes non traitées, comme des fleurs sauvages. Ils peuvent également affecter des espèces non ciblées à l’origine (abeilles, oiseaux, vers de terre), dont certaines sont indispensables à l’agriculture.

Impact sur la faune

        L’impact le plus médiatisé est celui sur les abeilles (domestiques et sauvages). Principales pollinisatrices de nombreuses espèces cultivées, leur rôle est très important dans l’agriculture. Les ruchers exposés aux néonicotinoïdes connaissent une surmortalité de leur population. Dans les (rares) endroits où les néonicotinoïdes sont absents, les ruches se portent bien. L’exemple de Cuba, sans pesticides depuis 25 ans, est souvent cité[5]. Rappelons toutefois que ce n’est pas le seul fléau des abeilles, qui souffrent également de parasites (comme l’acarien Varroa ou le champignon Nosema), de la prédation par le frelon asiatique, d’infection par des virus et autres calamités …

Varroa     Varroa destructor (fortement grossi !). Domaine public, source : Wikimédia Commons

        Mais les abeilles ne sont pas les seules touchées ! Les oiseaux peuvent également se nourrir de graines traitées mal enfouies dans le sol. Un repas qui peut leur être fatal. Grands consommateurs d’insectes, ils souffrent également de la disparition de ces derniers[6]. Nombre d’espèces déclinent.

        Plongés en permanence dans les sols, qu’ils travaillent sans arrêt, les vers de terre sont également impactés et creusent moins de galeries[7].

        Moins de pollinisateurs, des sols moins aérés : la perte de rendement est inévitable.

        Enfin, outre les risques pour la biodiversité, il pourrait également exister des risques pour l’Homme (qui fait partie de l’écosystème, même si sa technologie tend à le lui faire oublier …). Mais les études donnent peu d’avis tranchés, positifs comme négatifs. Et chaque camp (favorable ou non à l’emploi des néonicotinoïdes) met en avant les résultats qui lui conviennent.

 

Interdiction

        Le déclin des abeilles n’est pas nouveau. Les suspicions à l’encontre des néonicotinoïdes ne le sont pas non plus. Ce qui a poussé certains pays à agir.

        En France, l’utilisation d’imidaclopride a été suspendue dès 1999 pour la culture de tournesol, et interdite en 2004 pour le maïs[8].

        Certaines préparations à base de néonicotinoïdes (Cruiser, Poncho) ont été suspendues ou non homologuées dans différents pays entre 2008 et 2010.

        En 2013, l’AESA[9] rend un avis défavorable aux néonicotinoïdes. En conséquence, la Commission Européenne suspend l’utilisation de la clothianidine, du thiaméthoxame et de l’imidaclopride pour 2 ans[10].

        Le 8 août 2016, l’article 125 de la loi n° 2016-1087 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages prévoit l’interdiction de l’utilisation de néonicotinoïdes pour l’agriculture en France à partir du 1er septembre 2018.

        Le 27 avril 2018, une majorité de pays de l’Union Européenne vote l’interdiction de l’utilisation de clothianidine, d’imidaclopride et de thiaméthoxame pour les cultures qui attirent les abeilles. Quelques exceptions sont prévues, dont les cultures sous serres, à condition que les graines et les plantes traitées ne sortent pas de leur abri (fermé, évidemment)[11].

        Le Canada envisage également une interdiction.

        L’impact de l’interdiction est quant à lui difficile à estimer.

 

Quelles solutions alternatives ?

        Que faire pour remplacer les néonicotinoïdes toxiques ?

        L’Anses[12] s’est penchée sur la question[13]. Après étude de 130 usages autorisés des néonicotinoïdes, elle est parvenue à la conclusion que pour une majorité d’entre eux, des alternatives suffisamment efficaces et opérationnelles étaient possibles. Les néonicotinoïdes sont irremplaçables dans seulement 6 cas. Des alternatives non chimiques (donc préférables pour l’environnement) sont envisageables pour 78 % des usages. Parmi ces alternatives citées par l’Anses dans l’article : « la lutte biologique, la lutte physique par application d’une couche protectrice (huile de paraffine, argile …), et la lutte par confusion sexuelle ».

Larve coccinelle    Larve de coccinelle à sept points, un "agent" de la lutte biologique. Domaine public, source : Wikimédia Commons.

        Des alternatives chimiques (dont les pyréthrinoïdes) ont également été trouvées, mais il y aurait alors un risque d’accroissement de la résistance à ces remplaçants des néonicotinoïdes.

        La conclusion de l’Anses est qu’une combinaison de méthodes est préférable contre les ravageurs.

        Avec les néonicotinoïdes, on appliquait le principe « il vaut mieux prévenir que guérir ». En leur absence, il faudra plutôt faire l’inverse, en observant régulièrement les parcelles et en traitant les menaces à l’aide des méthodes alternatives[14], les produits chimiques n’intervenant qu’en dernier recours.

        Une adaptation nécessaire, mais loin d’être évidente …

 

Notes et références

[1] Source : « LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (1) », article 125. Disponible à cette adresse (pour lire uniquement l’article mentionné) : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/8/8/2016-1087/jo/article_125

[2] Source : article de l'encyclopédie en ligne Wikipédia sur les néonicotinoïdes. Disponible à cette adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Néonicotinoïde#Mode_d'action

[3] Source : le même article de l'encyclopédie en ligne Wikipédia sur les néonicotinoïdes. Disponible à cette adresse :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Néonicotinoïde#Utilisations

[4] Valeur d’après SAgE Pesticides, in V. Fournier, G. Labrie, I. Giroux, « Les néonicotinoïdes en grandes cultures : pertinence agronomique et impacts environnementaux », 2013. Disponible à cette adresse : https://www.agrireseau.net/agroenvironnement/documents/Labrie_Fournier_Giroux.pdf

[5] Source (en anglais) : « Organic honey is a sweet success for Cuba as other bee populations suffer », The Guardian, 9 février 2016. Disponible à cette adresse : https://www.theguardian.com/world/2016/feb/09/organic-honey-is-a-sweet-success-for-cuba-as-other-bee-populations-suffer

[6] Source :  « Les oiseaux, victimes directes des insecticides néonicotinoïdes », Le Monde, 20 mars 2018. Disponible à cette adresse : https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/03/20/les-oiseaux-victimes-directes-des-insecticides-neonicotinoides_5273499_3244.html

[7] Source : « Les pesticides menacent les oiseaux et les vers de terre autant que les abeilles »,  Le Huffington Post, 24 juin 2014 (actualisé  le 5 octobre 2016). Disponible à cette adresse : https://www.huffingtonpost.fr/2014/06/24/pesticides-oiseaux-vers-de-terre-abeilles_n_5526132.html

[8] Source : article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia concernant l’imidaclopride. Disponible à cette adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Imidaclopride#Impact_de_l'imidaclopride_sur_les_apidés_(abeilles_domestiques_et_bourdons_notamment)

[9] Agence Européenne de Sécurité des Aliments

[10] Source : « Règlement d’exécution (UE) n ° 485/2013 de la Commission du 24 mai 2013 modifiant le règlement d’exécution (UE) n ° 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation des substances actives clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride et interdisant l’utilisation et la vente de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant ces substances actives Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE », 24 mai 2013. Disponible à cette adresse : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2013.139.01.0012.01.FRA

[11] Source : « L’Europe interdit trois néonicotinoïdes jugés dangereux pour les abeilles », Le Monde, 26 avril 2018 (mis à jour le 30 avril 2018). Disponible à cette adresse : https://www.lemonde.fr/pollution/article/2018/04/26/l-europe-se-prononce-sur-l-interdiction-des-neonicotinoides_5291075_1652666.html

[12] Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

[13] « Risques et bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes et de leurs alternatives », 30 mai 2018. Disponible à cette adresse : https://www.anses.fr/fr/content/risques-et-bénéfices-des-produits-phytopharmaceutiques-à-base-de-néonicotinoïdes-et-de-leurs

[14] Ces méthodes sont nommées dans ce document : « Interdiction des produits contenant des néonicotinoïdes les 10 vrai-faux ». Disponible à cette adresse : https://www.unaf-apiculture.info/IMG/pdf/commun_interdictionneonics_vraifaux_012016.pdf

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