9 août 2018 : la « guerre des étoiles » selon Donald T.
vendredi 07 septembre 2018
Débris spatiaux : l’armée la plus redoutable de l’espace
Attention, annonce retentissante en provenance des États-Unis !
La Maison-Blanche est fière de vous annoncer la naissance prochaine de son nouveau « bébé », la United States Space Force. Le « bébé » à venir pèserait 8 milliards de dollars (soit environ 7 milliards d’euros), étalés sur 5 ans, et aurait pour objectif de protéger l’Oncle Sam depuis l’espace, tout en assurant la domination américaine au-dessus de nos têtes[1].
Un tarif à comparer aux 66,7 milliards de dollars investis dans le programme F-22 Raptor[2], un chasseur certes à la pointe de la technologie, mais qui se contente de voler dans l’atmosphère. Pour mémoire, pour revenir dans le registre spatial, le télescope spatial Hubble avait coûté au moment de son lancement 4,7 milliards de dollars (sur environ 10 milliards au total, en incluant la maintenance et les frais de fonctionnement)[3].
Mais gardons la tête froide et analysons ceci d’un point de vue plus scientifique.
Concrètement …
Pour commencer, oubliez les batailles épiques, les F-302, Vipers et autres X-Wings, la « guerre des étoiles » de Mr Donald se jouerait à grand renforts de satellites. Et puis ce n’est pas demain que l’on verra un chasseur faire des pirouettes dans l’espace : l’avion spatial le plus avancé à l’heure actuelle (SpaceShip Two) doit servir pour transporter de (très) riches touristes, le temps d’une (très) courte incursion dans l’espace …
Le projet serait donc a priori plus proche de la Strategic Defense Initiative (Initiative de Défense Stratégique, ou IDS) de Ronald Reagan (années 1980 – 1990). Rien d’illégal à cela. Le Traité de l’espace, mis en place en 1967, favorise une utilisation pacifique de l’espace, et interdit de placer des armes de destruction massive sur orbite. Curieusement, il n’y a pas de précisions concernant les autres armes, donc rien n’interdit leur utilisation[4].
Exemple d'arme imaginée pour l'IDS : un laser tiré depuis la Terre et réfléchi par un satellite vers des cibles ennemies. Source : Wikimedia Commons (origine : US Air Force)
L’espace n’est d’ailleurs plus vierge d’éléments militaires depuis longtemps. Citons par exemple les satellites dits « de reconnaissance », ceux chargés des communications militaires, et enfin les systèmes de positionnement, dont le plus connu est le GPS (largement utilisé par la société civile, mais développé à la base par les militaires).
Et qu’en est-il des fabuleuses (ou flippantes, selon le point de vue adopté) armes futuristes imaginées dans la fiction ? Y a-t-il des super-lasers embarqués par des satellites ?
Le laser « tueur de missiles » a bel et bien existé. Le Boeing YAL-1 Airborne Laser (2002 – 2011) a déjà été monté sur un avion et testé. L’appareil s’est révélé efficace, mais seulement à relativement courte distance, et avait besoin de se trouver à proximité de sites potentiels de tir[5]. Pas très pratique tout ça … Le programme a été abandonné et la machine démantelée[6]. L’option « laser tueur » n’est donc a priori pas à l’ordre du jour pour équiper un satellite militaire.
Quant à « descendre » des satellites par des missiles tirés du sol, l’« exploit » (si on peut se permettre d’utiliser ce mot) a déjà été accompli par les Chinois (Feng-Yun 1C, 11 janvier 2007) et les Américains (USA-193, 21 février 2008). Avec à chaque fois des centaines, voire des milliers de débris spatiaux supplémentaires à la clé !
Le risque des débris spatiaux
Tiens, parlons-en des débris spatiaux. Il en existe déjà un nombre astronomique, et de toutes les tailles, de la minuscule écaille de peinture à l’étage de fusée entier. Des solutions sont à l’étude, voire en cours de test, pour limiter leur nombre. En attendant, avant de retomber (à plus ou moins long terme) et de brûler (plus ou moins complètement) dans l’atmosphère terrestre, ces débris tournent à plus de 25 000 km/h[7]. Ce qui fait pas mal d’énergie cinétique, énergie qui dépend certes de la masse de l’objet, mais aussi du carré de sa vitesse. Ainsi, même une petite écaille de peinture peut creuser un cratère parfaitement visible à la surface d’un panneau solaire[8]. Alors un débris plus gros …
Cratère laissé par l'impact d'une micrométéorite sur une vitre de la navette spatiale Challenger. Les dégâts causés par une micrométéorite sont comparables à ceux produits par une minuscule écaille de peinture. Source : NASA - http://www.orbitaldebris.jsc.nasa.gov/photogallery/gallarypage/sts7crack.jpg
Les débris "survivent" parfois à leur retour sur Terre. Ici, un réservoir de fusée Delta 2 retrouvé au Texas en 1997. Source de l'image : NASA - http://www.orbitaldebris.jsc.nasa.gov/photogallery/photogallery.html
Les collisions ne sont pas rares. Certaines ont pour conséquence de gravement endommager, voire de détruire un satellite, et de créer ainsi de nouveaux débris. Certains retomberont vite vers la Terre, mais une bonne partie va partir à grande vitesse vers l’espace, où ils risquent de provoquer de nouvelles collisions, et ainsi de suite. Ce phénomène, appelé « syndrome de Kessler », est plutôt bien décrit dans le film Gravity d’Alfonso Cuarón, sorti en 2013.
Un tel emballement de la production de débris saturerait l’orbite terrestre, et la rendrait inutilisable pour toute application spatiale. Adieu GPS, adieu satellites météo ; mais aussi adieu sondes spatiales, adieu spationautes, adieu télescopes du genre Hubble … bref adieu science dans l’espace qui fait rêver.
Alors, franchement : est-ce que ça vaut vraiment le coup d’envoyer des armes dans l’espace ?
Notes et références
[1] Source : article du journal Le Parisien paru le 9 août 2018, consultable à cette adresse : http://www.leparisien.fr/international/etats-unis-pence-annonce-la-creation-d-une-force-de-l-espace-09-08-2018-7848279.php
[2] Source (en anglais) : « Analysis of the Fiscal Year 2012 Pentagon Spending Request », consultable à cette adresse : https://www.nationalpriorities.org/analysis/2011/analysis-fiscal-year-2012-pentagon-spending-request/?redirect=cow
[3] Source (en anglais) : « James Webb Space Telescope (JWST) Independent Comprehensive Review Panel – Final Report » (29 octobre 2010), consultable à cette adresse : https://www.nasa.gov/pdf/499224main_JWST-ICRP_Report-FINAL.pdf
[4] Texte complet à cette adresse : http://www.unoosa.org/pdf/gares/ARES_21_2222F.pdf
[5] Source (en anglais) : article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia (section « Cancellation »), consultable à cette adresse : https://en.wikipedia.org/wiki/Boeing_YAL-1
[6] Source (en anglais) : https://www.strategies-u.com/articles/2014/05/the-death-of-a-giant-laser.html
[7] Pour ceux qui circulent en orbite basse. La vitesse diminue à mesure qu’on s’éloigne de la Terre.
[8] Pour avoir une idée des dégâts possibles, consulter cette page : https://debris-spatiaux.cnes.fr/fr/node/119
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