Bételgeuse photographiée par l’Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA). Image non modifiée. Crédit : ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)/E. O’Gorman/P. Kervella. CC BY 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/). Source : https://www.eso.org/public/images/potw1726a/
Une fois de plus, ce blog va avoir la tête dans les étoiles ! Ou plutôt, pour être plus exact, les yeux tournés vers l’une d’entre elles : Bételgeuse.
Cette étoile affiche depuis plusieurs semaines une étrange baisse de luminosité. Au point de lancer dans les médias la rumeur de son explosion imminente …
Mais gardons la tête froide et analysons ceci d’un point de vue plus scientifique.
L’étoile Bételgeuse
En temps normal, Bételgeuse est la deuxième étoile la plus brillante de la constellation d’Orion, et la 10ème plus brillante du ciel[1].
La constellation d’Orion, vue par le logiciel Stellarium. Bételgeuse y est représentée avec son éclat habituel.
Proche de l’équateur céleste[2], elle est visible depuis la quasi totalité de la Terre. Curieusement, sa distance est mal connue et située quelque part entre 420 et 650 années-lumière, selon les études. La faute à sa forte brillance, qui a empêché les satellites Hipparcos et Gaia (chargés de mesurer les distances stellaires) de l’étudier[3].
Il s’agit de ce que les astronomes appellent une « supergéante rouge ». Si sa masse n’est « que » d’environ 15 fois celle du Soleil, son enveloppe est encore plus imposante, et passe son temps à gonfler et dégonfler. Si elle prenait la place de notre étoile dans notre propre Système solaire, elle s’étendrait au minimum jusqu’à l’orbite de Mars, et jusqu’à celle de Jupiter pendant les phases « de gonflement »[4]. La luminosité d’une étoile dépendant en partie de sa taille[5], Bételgeuse brille des dizaines de milliers de fois plus que le Soleil. Le manque de précision dans la mesure de sa distance interdit de donner une valeur précise. Notons au passage qu’elle brille davantage quand elle est « gonflée ».
Bien qu’âgée d’à peine quelques millions d’années, elle est déjà en fin de vie (d’où son instabilité chronique). En effet, plus une étoile est massive, plus les réactions de fusion nucléaire qui s’y produisent sont efficaces et plus elle épuise son « carburant » vite. Une toute petite étoile (comme Proxima du Centaure) mettra ainsi des dizaines, voire des centaines de milliards d’années à convertir le peu d’hydrogène à sa disposition en hélium, avant de « tomber en panne ». À l’inverse, les réserves d’une étoile environ quinze fois plus massive que le Soleil (comme Bételgeuse), bien que considérablement plus grandes, seront épuisées après moins de 10 millions d’années d’une véritable orgie énergétique …
En fin de vie, toutes les étoiles voient leur enveloppe d’hydrogène se dilater fortement. Ce faisant, leur surface se refroidit et prend une couleur rouge. Froid tout relatif : la surface de Bételgeuse est tout de même portée à plus de 3 000°C[6] !
Les plus petites étoiles (dont le Soleil) finissent leur vie calmement, en éjectant leurs couches externes pour former une coquille de gaz appelée « nébuleuse planétaire[7] ». Mis à nu, le cœur de la défunte étoile devient une naine blanche de la taille de la Terre.
En ce qui concerne les étoiles les plus massives, elles finissent par accumuler du fer dans leur cœur. Problème : le fer est trop stable, on ne peut en tirer de l’énergie ni par fusion nucléaire (comme avec l’hydrogène), ni par fission (comme l’uranium). Sans énergie produite, la gravitation devient la plus forte. Le cœur se contracte de plus en plus. Les conditions de température et de pression deviennent telles que les électrons fusionnent avec les protons, ce qui génère un véritable déluge de neutrinos[8]. La partie centrale du cœur se transforme en une étoile à neutrons beaucoup plus petite (10 à 20 km de diamètre) et beaucoup plus dense. Les couches externes du cœur tombent à grande vitesse vers la toute nouvelle étoile à neutrons et rebondissent dessus à des vitesses de l’ordre de 10 à 20% de la vitesse de la lumière. L’étoile explose : on parle de supernova[9]. Le phénomène peut être plus lumineux qu’une galaxie entière[10].
Bételgeuse finira donc sa vie avec pertes et fracas. Vue depuis la Terre, la supernova sera visible en plein jour, avant de voir sa luminosité décroître.
Baisse de luminosité : le début de la fin ?
Bételgeuse est une étoile variable, dont la magnitude apparente[11] peut atteindre 0,4, voire 0,2, ou dépasser 1,2[12]. Pour mieux apprécier ces données, il faut savoir que plus le nombre est faible, plus l’objet concerné apparaît brillant dans le ciel terrestre, et qu’une variation d’1 magnitude représente une variation de luminosité d’un facteur 2,5.
Elle est plus précisément ce que les astronomes appellent une « variable semi-régulière ». Ses variations de luminosité suivent des cycles de longueur différente, avec un cycle principal de 420 jours et deux autres de 5 à 6 ans et de 100 à 180 jours[13].
Photo de la constellation d’Orion, prise le 12 janvier 2020. Bételgeuse y apparaît moins brillante que Rigel (magnitude apparente de 0,18) (alors qu’elle est d’habitude presque aussi brillante), et d’éclat assez comparable à celui de Bellatrix (étoile qui représente l’autre épaule d’Orion, d’une magnitude apparente d’1,64).
La baisse de luminosité actuelle est donc probablement juste une coïncidence des minimums de ces cycles, ce qui la rend plus marquée que d’habitude[14]. Si c’est le cas, l’éclat de l’astre augmentera à nouveau dans les semaines ou les mois à venir.
De toutes façons, l’évolution du cœur de Bételgeuse ne se voit pas immédiatement à la surface de la supergéante.
Dans une étoile, les photons ne sortent pas immédiatement après leur naissance. Dans le cas du Soleil, ils mettent environ 200 000 ans pour parcourir les quelque 700 000 km qui séparent le centre de la surface. En effet, sur 70% du trajet, l’énergie est transmise par conduction, ils interagissent avec le plasma des millions de fois et repartent à chaque fois dans une direction aléatoire. Les 30% restants sont quant à eux expédiés en 2 mois, car l’énergie y est évacuée par convection (c’est-à-dire avec transport de matière)[15]. L’enveloppe de Bételgeuse est elle aussi convective[16], mais n'oublions pas que l'étoile en question est 1 000 fois plus grande que le Soleil (à la louche). Pour les photons, la sortie s’annonce donc bien lointaine …
De plus, en fin de vie, une étoile de 15 fois la masse du Soleil change de « carburant nucléaire » de plus en plus rapidement. Si elle a brillé grâce à la fusion d’hydrogène pendant des millions d’années, elle ne « carburera » au carbone que pendant environ 6 000 ans, au néon pendant environ 7 ans, à l’oxygène pendant environ 2 ans et au silicium pendant environ 6 jours, avant de connaître la fin explosive décrite précédemment[17].
Les photons produits parviennent en surface beaucoup plus lentement. Les ultimes changements dans le cœur restent donc invisibles de l’extérieur. Impossible de prédire le moment où la supernova surviendra …
La baisse de luminosité de Bételgeuse n’est donc pas nécessairement l’annonce de son explosion. Particulièrement spectaculaire, cette dernière est très attendue, mais le moment précis où sa lumière nous parviendra sera une surprise totale. D’ici là, je te souhaite, chère lectrice, cher lecteur, de bonnes observations sous les étoiles …
Notes et références
[1] Ce classement peut varier, selon que l’on considère les systèmes stellaires dans leur ensemble ou que l’on classe individuellement les étoiles qui les composent. Par exemple, depuis la Terre, Alpha du Centaure apparaît plus brillante que Bételgeuse, mais c’est une étoile double (même triple, mais tellement proche de nous que la 3ème étoile, Proxima du Centaure, est vue comme clairement séparée). La variabilité de certaines étoiles complique également l’établissement de ce « hit-parade » stellaire 100% géocentrique.
[2] Équateur céleste : projection de l’équateur terrestre sur la sphère céleste.
[3] Source : « Étoile Bételgeuse : « Une baisse de luminosité n'annonce pas une supernova » », Le Point, 9 janvier 2020. Disponible à cette adresse : https://www.lepoint.fr/astronomie/etoile-betelgeuse-une-baisse-de-luminosite-n-annonce-pas-une-supernova-09-01-2020-2356998_1925.php
[4] Source : article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia consacré à Bételgeuse. Disponible à cette adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bételgeuse
[5] Une étoile géante est beaucoup plus visible qu’une étoile naine. Mais les choses ne sont pas si simples, comme l’explique cette page : http://www.astrosurf.com/luxorion/corpsnoir-etoiles2.htm
[6] Source : article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia consacré à Bételgeuse.
[7] Objet appelé ainsi car vus dans les télescopes du 18ème siècle, les premiers exemplaires (sphériques) ressemblaient à des planètes. Mais la comparaison s’arrête là.
[8] Neutrino : particule sans charge électrique, qui interagit très peu avec la matière.
[9] Plus exactement de supernova de type II, Ib ou Ic. Mais on va rester très schématique dans cet article …
[10] Source : article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia consacré aux supernovas. Disponible à cette adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Supernova#Type_II,_Ib_et_Ic
[11] Magnitude apparente : grandeur (sans unité) qui mesure la luminosité d’un objet céleste, vu depuis la Terre.
[12] Source (en anglais) : page consacrée à Bételgeuse par l’American Association of Variable Stars Observers (AAVSO). Disponible à cette adresse : https://www.aavso.org/vsots_alphaori
[13] Source : « Les astronomes au chevet de l'étoile Bételgeuse », Libération, 14 janvier 2020. Disponible à cette adresse : https://www.liberation.fr/sciences/2020/01/14/les-astronomes-au-chevet-de-l-etoile-betelgeuse_1772781
[14] Sources : article du Point (cf. note n°2) ; « Bételgeuse : sa baisse de luminosité décryptée par Sylvie Vauclair », Futura Sciences, publié le 13 janvier 2020, modifié le 14 janvier 2020. Disponible à cette adresse : https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/etoile-betelgeuse-baisse-luminosite-decryptee-sylvie-vauclair-79164/
[15] Source : « Soleil, sa réelle influence sur la Terre », Ciel & espace n°569, février/mars 2020, p.52.
[16] Source : « Structure et Évolution des étoiles », diapositive 58. Disponible à cette adresse : http://www.astro.ulg.ac.be/~dupret/Structure-etoiles.pdf
[17] Source : « Structure et Évolution des étoiles », diapositive 77. Disponible à cette adresse : http://www.astro.ulg.ac.be/~dupret/Structure-etoiles.pdf