Du rififi près de Géonosis
vendredi 18 octobre 2019
Star Wars pas très scientifique ?
Tiens, ça faisait un moment que je n’avais pas alimenté la rubrique « Science intruse » !
Je vais aborder aujourd’hui un objet massivement « culte » : la saga Star Wars.
Je préviens de suite : point de sabre laser ici (il s’agit d’ailleurs plus vraisemblablement d’une torche à plasma confinée dans une « bouteille » magnétique que d’un laser), ni d’Étoile de la mort (quoique …). Je vais décortiquer une séquence de l’épisode II (L’Attaque des clones) : la course-poursuite d’Obi-Wan Kenobi et Jango Fett à proximité de Géonosis.
Les anneaux de Géonosis
À l’image de Saturne (et de toutes les planètes géantes du Système solaire), Géonosis (qui est une planète rocheuse) possède des anneaux.
Saturne et ses anneaux, vus par la sonde Cassini. Crédit : NASA/JPL-Caltech/SSI/Cornell. Source : https://www.nasa.gov/mission_pages/cassini/multimedia/pia17474.html
Contrairement à ce que leur aspect (vus de loin) peut laisser penser, les anneaux de Saturne ne sont pas d’un seul tenant. Ils sont constitués de glaces et de roche, sous la forme d’innombrables « blocs » dont la taille varie entre celle d’une poussière et celle d’une maison. Quelques uns atteignent la taille d’une montagne. Ces blocs se comportent chacun comme une minuscule lune[1].
Les anneaux de Géonosis sont très particuliers. Les blocs qui les constituent sont beaucoup plus gros, de la taille d’un astéroïde. Certains sont même percés de tunnels suffisamment larges pour laisser passer des vaisseaux spatiaux. De tels objets sont peu probables en réalité. La propagation des cassures utilise préférentiellement les défauts des matériaux. Une faiblesse (genre tunnel) pourrait être utilisée par une cassure en formation. Quant à former un tunnel de cette taille en agglomérant des blocs de roche, c’est plutôt difficile.
Très gros, très nombreux et très proches, les astéroïdes devraient entrer fréquemment en collision à l’intérieur des anneaux, et être pulvérisés en morceaux bien plus petits. Les anneaux de Géonosis sont donc probablement très récents[2]. À la fin du film, le spectateur peut découvrir que le concept de l’Étoile de la mort est justement originaire de cette planète. Un prototype de cette arme aurait-il été testé sur une lune géonosienne ?
Des charges vraiment soniques ?
Pris en chasse par Obi-Wan Kenobi, Jango Fett essaie de se débarrasser de lui à l’aide de « charges soniques ». Le nom de l’arme n’est a priori pas adéquat. Le combat a lieu dans l’espace, qui est censé être vide (ou presque) entre les différents objets qui le peuplent. Or le son est une onde qui a besoin de matière pour se propager (contrairement à la lumière).
Propagation du son dans l’air. Les points gris représentent les molécules d’air déplacées par l’onde sonore. Auteur : Pluke. Source : Wikimédia Commons (https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Sound#/media/File:CPT-sound-physical-manifestation.svg). CC0 (https://creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/deed.en).
Le Web fourmille également de vidéos de sources sonores isolées sous des cloches de verre, et sous lesquelles une pompe fait le vide.
Les « charges soniques » ne peuvent donc pas se contenter de créer une onde de choc, il faut également qu’elles expulsent de la matière. Vu leur faible taille, ça semble peu probable.
Enfin, notons que les moteurs des vaisseaux sont parfaitement audibles. Ce combat spatial (comme tous ceux de la saga Star Wars, d’ailleurs) est donc beaucoup trop « bruyant » !
Moteurs : science et fiction
Tiens, parlons-en des moteurs.
Les vaisseaux se déplacent à travers la galaxie à une vitesse déconcertante (si ce n’était pas le cas, le rythme des films baisserait significativement). Ils avalent les années-lumière à grands renforts de sauts dans l’hyper-espace. Ce moyen de propulsion leur permet de se déplacer plus vite que la lumière, ce qui est théoriquement impossible. Sinon, on pourrait voyager dans le passé, ce qui constituerait une entorse à l’ordre temporel et au « principe de causalité » (les causes précèdent les effets).
Pour ne pas se faire prendre en flagrant délit d’excès de vitesse cosmique, les scientifiques ont imaginé quelques solutions.
L’une d’elles, la métrique d’Alcubierre, permet de créer une distorsion de l’espace-temps. Ce n’est pas le vaisseau qui voyage plus vite que la lumière, mais la distorsion sur laquelle il « surfe ». Gros problème (parmi d’autres) : il faut disposer de stocks d’une matière de masse négative pour créer ladite distorsion[3]. Et une fois créée, cette « bulle » d’espace-temps est incontrôlable de l’intérieur.
Autre solution, proposée par le physicien Sergueï Krasnikov : creuser des « tunnels » dans l’espace-temps, ce qui permettrait de réduire significativement le temps de parcours d’un point à un autre, tout en respectant la limitation de vitesse. Il faudrait donc au préalable creuser tout un réseau pour parcourir rapidement la galaxie. Mais là encore, il faut disposer de matière de masse négative[4] !
Le voyage à vitesse (en apparence) supraluminique reste donc hors de portée de notre technologie du 21ème siècle. De toute façon, le problème lié au principe de causalité reste entier …
Par contre, l’un des modes de propulsion utilisés par les vaisseaux de Star Wars est devenu réalité. Il s’agit du moteur ionique, à l’origine du nom des chasseurs TIE (Twin Ion Engine).
Principe de fonctionnement d’un moteur ionique. Source : https://www.industrie-techno.com/article/vers-mercure-bepicolombo-carbure-a-l-electricite.53995
Des atomes sont injectés dans une chambre, puis ionisés à l’aide d’un faisceau d’électrons. Ainsi devenus sensibles aux champs magnétiques, ils sont accélérés par des grilles et éjectés à grande vitesse vers l’arrière, ce qui propulse le vaisseau vers l’avant. Des électrons sont ensuite rajoutés aux ions éjectés pour les rendre à nouveau neutres et leur permettre de voyager en ligne droite. Ce moteur est peu gourmand en carburant et demande de l’électricité[5]. Il est déjà en cours d’utilisation : les sondes Dawn, BepiColombo et Hayabusa 2 en sont équipées. Seul bémol : ces moteurs sont endurants, mais encore peu puissants. Ils ne permettent donc pas encore de réaliser les mêmes pirouettes que dans Star Wars …
Voici donc un tout petit échantillonnage de ce que l’on peut étudier d’un point de vue scientifique dans un passage de Star Wars. En passant en revue la saga entière, il est possible d’aborder des thèmes aussi différents que la planétologie, la biologie[6] …
Et surtout, un point à ne pas perdre de vue : Star Wars est un space opera à grand spectacle, pas un documentaire !
Notes et références
[1] Source (en anglais) : NASA Science - Solar System exploration - page consacrée à Saturne. Disponible à cette adresse : https://solarsystem.nasa.gov/planets/saturn/in-depth/
[2] Source : Roland Lehoucq, Faire de la science avec Star Wars, Le Pommier, 2005, 2ème et 3ème éditions : Le Bélial’, 2015 et 2017.
[3] Source : article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia consacré à la métrique d’Alcubierre. Disponible à cette adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Métrique_d’Alcubierre
[4] Source : « Des tunnels dans l'espace-temps », Pour la science, 1er janvier 2000. Disponible à cette adresse : https://www.pourlascience.fr/sd/physique/des-tunnels-dans-lespace-temps-3986.php
[5] Source : « Vers Mercure, BepiColombo carbure à l’électricité », Industries et Technologies, 18 octobre 2018. Disponible à cette adresse : https://www.industrie-techno.com/article/vers-mercure-bepicolombo-carbure-a-l-electricite.53995
[6] Travail déjà (très bien) réalisé par Roland Lehoucq, voir la note n°2.